Enderlin vs. Karsenty: Avis du Parquet General de la Cour de Cassation (REJET) 3.1.12

Avis-AG-Q0883926
Cour de Cassation
Chambre criminelle ( 1ère section)
Parquet général No/ Pourvoi : Q 08-83.926
Demandeur : Charles ENDERLIN et la sté FRANCE 2
Décisions attaquées : Arrêts rendus les 3 octobre 2007 et 21/05/2008 par la Cour
d’appel de Paris – 11ème chambre correctionnelle
Conseiller rapporteur : M. Beauvais
Avocat général : Jean Berkani
Audience du : 3 janvier 2012
AVIS de L’AVOCAT GÉNÉRAL
(REJET)
I.- EXPOSE des FAITS et de la PROCÉDURE
Charles ENDERLIN et la société FRANCE 2 ont formé deux pourvois en cassation :

– le premier contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 11ème chambre, en date du 3 octobre 2007, qui, dans la procédure suivie, sur leur plainte, contre Philippe Karsenty, du chef de diffamation publique, a ordonné un supplément d’information ;
– le second contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris – 11ème chambre correctionnelle rendu le 21/05/2008, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Philippe Karsenty du chef de diffamation publique.

II.- DISCUSSION

Le mémoire ampliatif régulièrement produit au soutien des pourvois soulève sept moyens de cassation :

1 – pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1, 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir, – il fait grief à l’arrêt du 3 octobre 2007, d’avoir a ordonné, avant-dire droit, un supplément d’information afin que la société FRANCE 2 transmette à la cour d’appel les «rushes» pris le 30 septembre 2000 par son cameraman Talal ABU RAMAH, alors que tant la preuve de la bonne foi que celle de la vérité du fait diffamatoire incombant au seul prévenu selon les modalités prévues par la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel neAvis-AG-Q0883926 pouvait, sans excéder ses pouvoirs, au seul vu des conclusions d’incident en désignation d’expert déposées par le prévenu (se fondant sur une interview de Monsieur JEANBAR et LECONTE postérieure à la parution des écrits incriminés et soutenant que le journaliste Monsieur ENDERLIN avait menti en prétendant que les rushes de la cassette présenteraient l’agonie du jeune Mohamed AL DURA et que la quasi-totalité de la cassette était constituée de scènes de jeunes palestiniens «jouant la guerre» – comme prétendu dans les écrits incriminés –), conclusions auxquelles s’opposaient, également par conclusions, les parties civiles, ordonner d’office un supplément d’information afin que FRANCE 2 communique les «rushes» de la journée du 30 septembre 2000 pris dans la bande de Gaza par son cameraman ;

2 – pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir, il fait grief à l’arrêt du 21 mai 2008, d’avoir accueilli l’exception de bonne foi invoquée par Monsieur KARSENTY et d’avoir relaxé celui-ci des fins de la poursuite,

– alors que la cassation de l’arrêt du 3 octobre 2007 entraînera par voie de conséquence celle de l’arrêt du 21 mai 2008 (première branche),

– et alors que la charge de la preuve de la bonne foi incombe au seul prévenu et qu’en prenant en considération, fût-ce partiellement, pour l’appréciation de la bonne foi du prévenu le visionnage des rushes de Talal ABU RAMAH communiqués par FRANCE2 sur ordre de la cour d’appel statuant avant-dire droit, l’arrêt attaqué a méconnu les dispositions et le principe susvisés (seconde branche) ;

3 – pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er et 35 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, il fait grief à l’arrêt d’avoir relaxé Monsieur KARSENTY des fins de la poursuite du chef de diffamation envers des particuliers, alors qu’en matière de diffamation, la preuve de la vérité du fait diffamatoire et la preuve de la bonne foi constituent deux questions distinctes et que les motifs de l’arrêt, d’où il se déduit que les juges d’appel ont accueilli l’exception de bonne foi invoquée par le prévenu en se référant à l’idée que celui-ci rapportait la preuve indirecte notamment par l’ouvrage de Gérard HUBER, les avis des professionnels entendus au cours de la procédure et les déclarations de Monsieur ENDERLIN reproduites dans l’article du Figaro du 27 janvier 2005, que la version des écrits incriminés selon laquelle le reportage de Monsieur ENDERLIN présenté le 30 septembre 2000 sur Antenne 2 serait faux et procèderait d’une mise en scène, était vraie ne peuvent qu’être censurés comme méconnaissant ce principe ;

4 – pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, il fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli l’exception de bonne foi invoquée par le
prévenu et de l’avoir relaxé des fins de la poursuites,
– alors que la bonne foi d’un prévenu ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux ; qu’en retenant pour relaxer le prévenu, des faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux et notamment l’examen des «rushes», la cour d’appel a méconnu les textes susvisés (première branche),Avis-AG-Q0883926
– alors que la bonne foi du prévenu ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux ; que pour relaxer le prévenu au bénéfice de la bonne foi, l’arrêt attaqué a notamment pris en compte, au titre du sérieux de l’enquête, les opinions de Daniel LECOMTE et Denis JEANBAR issues d’un point de vue donné au Figaro du 25 janvier 2005 et d’une interview diffusée le 1er février 2005 sur l’antenne de RCJ ainsi qu’un prétendu aveu partiel du journaliste Charles ENDERLIN exprimé dans le Figaro du 25 janvier 2005 et qu’en se fondant ainsi sur des éléments postérieurs à la diffusion des écrits incriminés, la cour d’appel a méconnu le principe et les textes susvisés (deuxième branche),
– et alors que l’avis des professionnels entendus au cours de la procédure ou ayant versé leurs contributions aux débats relativement à la prétendue existence d’une mise en scène de la mort de l’enfant par le journaliste de FRANCE 2 ne saurait, comme l’a estimé à tort la cour d’appel, établir la preuve de la réalisation d’une enquête sérieuse, laquelle doit être préalable à la diffusion des écrits incriminés (troisième branche) ;

5 – pris de la violation des articles 6, 8 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale,
il fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli l’exception de bonne foi du prévenu et de l’avoir relaxé des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers particuliers,
– alors qu’il résulte de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme que pour évaluer la justification d’une déclaration contestée, il y a lieu de distinguer entre « déclarations factuelles » et « jugements de valeur » ; que se référant implicitement à cette distinction, la cour d’appel a énoncé que les propos incriminés sont «souvent proches du jugement de valeur» et en déduit que – dans ces conditions – les éléments de l’enquête constituent «une base factuelle suffisante» ; que cependant la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que cette appréciation contredit tant les propres constatations de l’arrêt attaqué que le contenu des écrits incriminés puisque ces écrits imputent au journaliste Charles ENDERLIN et à FRANCE 2 d’avoir diffusé un faux reportage comportant des images qui ne révèlent pas la réalité en représentant la «fausse mort» d’un enfant palestinien, déclaration factuelle s’il en est, dont Monsieur KARSENTY a échoué à établir la vérité (première branche),
– alors qu’il incombait avec d’autant plus de rigueur au prévenu de vérifier les déclarations factuelles diffamatoires dirigées contre Monsieur ENDERLIN et la société FRANCE 2 que celles-ci revêtaient un caractère d’exceptionnelle gravité et qu’elles émanaient d’une personne qui se prétendait au-dessus des médias et faisait profession de les juger et que, contrairement à ce qu’a pu conclure la cour d’appel, après s’être référée à la considération inexacte que les propos incriminés seraient « proches d’un jugement de valeur », il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que Monsieur
KARSENTY, loin de pouvoir exciper, au titre de l’enquête, « d’une base factuelle suffisante » l’autorisant à affirmer dans les écrits incriminés que le journaliste avait volontairement travesti la vérité, se trouvait, à l’époque de la diffusion des propos incriminés, en présence de deux thèses inconciliables, celle d’Esther SHAPIRA, diffusée par la chaîne de télévision ARD en mars 2004, et celle de la « MENA », l’autorisant seulement à « interroger » le reportage de FRANCE 2 et non à porter des accusations particulièrement graves contre son journaliste (deuxième branche),
– alors que les témoignages les plus favorables au prévenu cités par l’arrêt (ceux de Monsieur Luc ROSENZWEIG et Richard LANDES), mettent en évidence que leAvis-AG-Q0883926 prévenu, à la date où il a diffusé les propos incriminés, n’avait pas procédé aux vérifications minimales l’autorisant à présenter comme certains, non seulement le fait que le journaliste Monsieur ENDERLIN avait, le 30 septembre 2000, diffusé des faits inexacts, mais que cette inexactitude était volontaire et procédait d’une «supercherie» ou d’une «falsification» (troisième branche),

– et alors qu’une « agence de notation des médias » ne saurait attaquer de la manière la plus brutale qui soit un journaliste en ayant limité son enquête à une seule source sans avoir vérifié la qualité de cette source ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour d’appel, les parties civiles déclaraient s’approprier l’analyse des premiers juges soulignant qu’avant de reprendre à son compte la thèse de la MENA (agence de presse israélienne METULA NEWS AGENCY) défendue par Gérard HUBER, Monsieur KARSENTY devait prêter attention au crédit qui lui était généralement accordé (lequel était faible) et qu’en affirmant que les éléments del’enquête essentiellement fondés sur la «thèse de la MENA» constituaient une base
factuelle suffisante pour admettre les propos litigieux sans s’expliquer sur ce chef péremptoire de conclusions, la cour d’appel a privé sa décision de base légale (quatrième branche) ;

6 – pris de la violation des articles 6, 8 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593
du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, il fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli l’exception de bonne foi de Monsieur KARSENTY et de l’avoir relaxé des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers particuliers,
– alors que la prudence dans l’expression de la pensée est un élément essentiel de la bonne foi qui ne reçoit exception que dans le cas où les propos incriminés concernent la critique des institutions fondamentales de l’Etat et que les propos violents, brutaux, véhéments, rapportés par l’arrêt attaqué tenus à l’encontre d’un journaliste et d’une chaîne de télévision ne sauraient être tenus pour prudents (première branche),
– alors que si les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un journaliste que d’un simple particulier, une agence qui, prétendant se placer au-dessus des médias s’arroge, comme en l’espèce, le droit de juger sans appel un journaliste, est tenue de conserver un minimum de modération et de bienséance, la réputation d’un journaliste, fût-il controversé, devant bénéficier de la protection garantie tant par la loi sur la liberté de la presse que par la convention européenne des droits de l’homme et que la véhémence des propos tenus est exclusive de toute bonne foi (deuxième branche),
– alors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer, par l’examen des écrits incriminés, que leur auteur impute au journaliste et reporter Monsieur ENDERLIN non seulement une faute déontologique excessivement grave mais aussi le délit de fausses nouvelles prévu et réprimé par l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 puisqu’il l’accuse en termes violents d’avoir diffusé publiquement un faux reportage mettant en scène la «fausse mort d’un enfant palestinien», d’avoir, ce faisant, été à l’origine de nombreuses violences et ce, avec intention coupable ; que l’arrêt attaqué constate cependant que l’auteur de cette accusation gravissime n’a pas été en mesure de rapporter la preuve du caractère vrai de celle-ci et que l’affirmation péremptoire sans preuve, de la culpabilité d’un journaliste pour le délit susvisé par une prétendue agence de notation des médias, affirmation qui méconnaît la présomption d’innocence, est exclusive de toute prudence dans l’expression de la pensée (troisième branche),Avis-AG-Q0883926
– alors que la polémique cesse là où commencent les attaques personnelles et que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que l’ensemble des propos violents tenus dans les écrits incriminés constitue autant d’attaques personnelles contre le journaliste dont la démission est expressément demandée par l’auteur des propos incriminés (quatrième branche),
– et alors que les juges ne sauraient légalement s’en remettre à un témoin, si respectable soit-il, du soin de juger et qu’en fondant, au moins partiellement leur conviction, sur l’opinion de Francis BALLE, sous prétexte que celui-ci est «professeur à l’université de Paris 2 et spécialiste de l’image et de l’information» pour décider que le prévenu avait fait preuve de prudence dans l’expression de la pensée, les juges ont méconnu leurs obligations (cinquième branche) ;
7 – pris de la violation des articles 6, 8 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, il fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli l’exception de bonne foi invoquée par Monsieur KARSENTY et de l’avoir relaxé des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers particuliers,
– alors que la charge de la bonne foi incombant au seul prévenu, la cour d’appel ne pouvait, sans renverser la charge de la preuve, faire état de ce que les parties civiles n’établissaient pas, par les deux attestations qu’elles versaient aux débats, l’animosité du prévenu à leur égard (première branche),
– et alors que la cour d’appel ne pouvait sans contredire le sens et la portée des écrits incriminés qui, en termes exceptionnellement violents, énonçaient la «supercherie» et «l’imposture» du journaliste et demandaient sa démission immédiate sans avoir été en mesure de rapporter la preuve des fautes graves qu’ils lui imputaient, admettre que les propos incriminés étaient exempts d’animosité, celle-ci étant patente (seconde branche).

Sur la jonction des procédures:

Les deux pourvois ayant été régulièrement formés sont recevables ; l’intérêt d’une bonne administration de la justice commande d’en ordonner la jonction en raison du lien de connexité existant entre eux.

Sur la réalité du caractère diffamatoire des propos tenus par le prévenu

Les énonciations de l’arrêt établissent clairement que les propos tenus par le Philippe KARSENTY ont un caractère diffamatoire :

“Considérant que, le 26 novembre 2004, MEDIA-RATINGS diffuse à l’ensemble des personnes inscrites sur sa liste, dont FRANCE 2, le communiqué d e presse électronique, dont les passages poursuivis sont les suivants :

“Au regard des éléments dont nous disposons, nous affirmons que le correspondant de FRANCE 2 à Jérusalem, Charles ENDERLIN, a effectivement diffusé un faux reportage ce 30 septembre 2000 .Avis-AG-Q0883926

“Nous vous invitons à découvrir les incohérences du document de FRANCE 2 sur Media-Ratings, ainsi que les réactions de certains médias à cette imposture.

“Arlette Chabot a menacé de porter plainte contre toute personne qui accuserait FRANCE 2 d’avoir diffusé un faux ce 30 septembre 2000 [. . .]

“Nous espérons que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel exigera la démission immédiate de ceux qui se sont livrés à cette supercherie” [. . .]

“Espérons que les médias français informeront rapidement leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs de 1 ‘imposture médiatique à laquelle s ‘est livrée FRANCE 2 depuis plus de quatre ans [ . .]

Considérant qu’il ressort de l’ensemble de ces propos que Philippe KARSENTY, directeur de l’agence de notation MEDIA-RATINGS, qu’il a lui-même créée pour évaluer la fiabilité des informations diffusées dans la presse, met en cause le travail de FRANCE 2 et de son correspondant à Jérusalem à l’aide des critères méthodologiques d’analyse des médias qu’il a dégagés ;

Qu’ainsi, dans son article daté du 22 novembre 2004, Philippe KARSENTY qualifie le reportage de Charles ENDERLIN de mascarade déshonorante pour la télévision publique et de supercherie à l’origine de nombreuses violences à travers le monde, en rappelant les termes de la polémique qu’il a suscitée depuis plusieurs années entre FRANCE 2 et l’agence de presse israélienne MENA (“Metula News Agency”), qui accuse la chaîne française d’avoir diffusé un faux ;

Qu’au regard des éléments dont il dispose alors, le prévenu affirme que le correspondant de Paris à Jérusalem a commis un faux reportage, qu’il démonte en faisant porter sa critique sur deux plans successifs : d’une part, les cinquante premières minutes du reportage consistant en une série de scènes jouées sont une pure fiction, d’autre part, la scène principale, d’une durée de quelques minutes seulement, comporte des incohérences au regard du commentaire de FRANCE 2 ;

Qu’il s’interroge dès lors sur les raisons pour Charles ENDERLIN qui, sur ce point, “se trompe et, du même coup, nous trompe”, de chercher “à couvrir son imposture” ;

Que l’auteur poursuivi impute, dans son communiqué du 26 novembre 2004, à Charles ENDERLIN d’avoir diffusé un faux reportage en commentant un document incohérent remis par son cameraman, et à la chaîne publique d’avoir commis une imposture médiatique en le faisant diffuser le 30 septembre 2000 ;

Considérant, sur le caractère diffamatoire des imputations, que le tribunal a justement retenu que le fait de tromper sciemment le public en diffusant et/ou en faisant diffuser un faux reportage comportant des images qui ne reflètent pas la réalité, en représentant une “fausse mort”, même si l’auteur a pris le soin d’accompagner son accusation d’un certain nombre d’explications, porte incontestablement atteinte à l’honneur et à la réputation de professionnels de l’information, et ce d’autant plus que le fait diffamatoire est appuyé par l’emploi de termes tels que “mascarade”, “imposture”, “supercherie” pour qualifier l’attitude de FRANCE 2 et “scènes jouées”, “pure fiction” pour qualifier le premier épisode du reportage ;

Considérant, sur les éléments de preuve signifiés au titre de la vérité des fait s diffamatoires, que l’appelant a versé quatorze pièces et demandé l’audition de trois témoins susceptibles, selon lui, de prouver que FRANCE 2 a porté à l’écran un montage douteux, largement contesté à la date de la diffusion des propos incriminés , ce qui lui permettait de conclure à une manipulation du reportage sur les conditions du tournage et sur la réalité des scènes filmées par son cameraman, en particulier sur la mort du petit Mohamed AL DURA ;Avis-AG-Q0883926

Mais considérant qu’ainsi que l’ont rappelé les premiers juges, pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations diffamatoires dans leur matérialité et toute leur portée ;

Qu’en faisant valoir que ses offres de preuve établiraient “un montage douteux, largement contesté à la date de la diffusion des propos incriminés”, le prévenu ne peut prétendre démontrer le fait d’avoir sciemment diffusé un “faux reportage”, tant il est vrai que la première imputation ne constitue au mieux qu’un diminutif de l’imputation poursuivie ;

Qu’il y a lieu, dès lors, de rejeter l’exception de vérité soulevée par le prévenu”. Il résulte de ces énonciations que le débat est donc limité à l’appréciation de la bonne foi du prévenu, et des conditions procédurales dans lesquelles la cour d’appel a, en infirmant le jugement de culpabilité prononcé par les premiers juges, retenu l’exception de bonne foi soulevée par Philippe KARSENTY.

Sur les premier et deuxième moyens réunis :

Il résulte d’une jurisprudence établie que la présomption de mauvaise foi qui s’attache de plein droit aux imputations diffamatoires peut être combattue par des faits justificatifs dont il appartient au prévenu d’administrer la preuve (crim. 9 juillet 1970, no 68-93.459 ; 2 décembre 1980, no 79-92.374 ; 26 novembre 1991).

Votre chambre a, dans un arrêt no 85-94.458 du 8 juillet 1986, expressément rappelé en ce domaine les limites s’imposant au juge, en énonçant que “les imputations diffamatoires impliquent l’intention de nuire à la personne qu’elles atteignent dans son honneur ou sa considération ; que cette intention n’est susceptible de disparaître que si l’auteur de l’écrit diffamatoire à qui seul en incombe la charge, parvient à prouver l’existence de faits justificatifs de nature à faire admettre sa bonne foi ; que dès lors les juges n’ont pas à se substituer à lui pour rechercher si la personne visée a été atteinte par erreur laquelle à elle seule serait exclusive de toute bonne foi”.

On notera cependant que dans un arrêt du 6 mai 2008, également cité par le Conseiller rapporteur, votre chambre a jugé que “si les cours et tribunaux ne sauraient pallier les carences des parties dans l’administration de la preuve, il n’en demeure pas moins qu’il apparaît possible de produire des documents qui ne peuvent être versés par les parties et qui, à longueur d’écritures, sont évoqués par ces mêmes parties ; qu’en définitive, l’initiative de la cour ne tend nullement à interférer sur la procédure de démonstration de la preuve telle qu’elle est fixée par les articles 55 et 56 de la loi sur la presse ; que le débat contradictoire qui s’instaurera à l’audience respectera les droits des deux parties” (Crim.6 mai 2008, no 0782836).

Ainsi peut-on en déduire que si le juge ne peut se substituer au prévenu en recherchant la preuve de la bonne foi, il ne saurait non plus, lorsque cette bonne foi est soulevée, s’abstenir de toute initiative destinée à en rapporter la preuve, particulièrement lorsque la partie ne peut “produire des documents qui ne peuvent être versés” par elle, la partie n’ayant pu qu’évoquer leur existence.

L’arrêt avant dire droit retient que : “Considérant que les débats ont fait apparaître la nécessité pour la Cour de visionner les images prises le 30 septembre 2000 à Gaza par TalalAvis-AG-Q0883926 ABU RAMA , le cameraman de la société FRANCE 2 ;

Qu’il convient, dès lors, d’ordonner un supplément d’information afin que la société FRANCE2 communique les rushes de la journée du 30 septembre 2000 pris dans la bande de GAZA par son cameraman”.

Il convient de relever en l’espèce que la mesure d’instruction ordonnée avant dire droit l’a été dans le respect du contradictoire, alors que le prévenu invoquait l’exception de bonne foi, que la référence aux rushes était bien dans les débats, et que le prévenu n’avait pu obtenir communication de ces pièces compte tenu des réticences exprimées par la société France 2 à laisser visionner les rushes de son caméraman.

La cour d’appel se trouvait en conséquence fondée à ordonner une telle mesure d’instruction, sans outrepasser ses prérogatives.

Il s’ensuit que les deux premiers moyens ne sauraient être accueillis.

Sur le troisième moyen :
L’argument selon lequel les juges d’appel auraient accueilli l’exception de bonne foi présentée par le prévenu au motif tiré de la véracité des faits diffamatoires allégués ne saurait raisonnablement prospérer ; les énonciations de l’arrêt critiqué sont en effet les suivantes :
“Considérant que Richard LANDES, journaliste, professeur à l’université d e Boston, entendu en qualité de témoin par les premiers juges, a déclaré que, selon lui , après avoir étudié les rushes de Reuters et le reportage de Charles ENDERLIN, avec lequel il s’est entretenu, la probabilité que la mort de l’enfant présentée par celui-ci serait une mise en scène était “supérieure à 95%” ;

Considérant que, si aucun des arguments du prévenu -ni les conclusions de l’enquête menée à l’initiative personnelle du Général SAMYA (contre-offre de preuve no 12), ni “l’imprudente affirmation” de Charles ENDERLIN déjà relevée – n’a paru aux premiers juges, à lui seul suffisamment déterminant en regard du reportage contesté, il apparaît que l’examen, en cause d’appel, des 18 minutes de rushes de Talal ABU RAMAH communiquées par FRANCE 2 ne permet pas d’écarter les avis des professionnels entendus au cours de la procédure ou ayant versé leurs contributions aux débats, les
attestations produites par les soins du cameraman (offre de contre-preuve, no 5 à 10) ne pouvant pas, en revanche, au vu de leur présentation comme de leur contenu, être tenues pour parfaitement crédibles ;

Qu’alors qu’aucun principe ne permet de refuser sans examen, ni explication tout crédit à un document qui ne bénéficierait pas d’un label officiel ou qui ne recueillerait que peu de crédit de la part des “autorités”, il convient de relever que les premières déclarations des autorités israéliennes, notamment celle du Généra l EILAND, ont été faites au vu des seules images du reportage de FRANCE 2 ; qu’il est, par ailleurs, notoire, ainsi que l’ont expliqué Denis JEAMBAR et Danie l LECOMTE, que l’armée israélienne ne répond quasiment jamais sur rien, “c’est le choix de communication qu’elle a fait” ;
Considérant qu’en répondant à Denis JEAMBAR et à Daniel LECOMTE , dans le Figaro du 27 janvier 2005, que “l’image correspondait à la réalité de l a situation non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie”, alors que la définition d’un reportage s’entend comme le témoignage de ce que le journaliste a vu et entendu, Charles ENDERLIN a reconnu que le filmAvis-AG-Q0883926 qui a fait le tour du monde en entraînant des violences sans précédent dans toute la région ne correspondait peut – être pas au commentaire qu’il avait donné, ce qui est également l’avis donné par Daniel DAYAN, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des médias, dans son attestation (pièce no5)”.

En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision, non pas sur la preuve de la vérité des faits allégués, mais sur les témoignages de professionnels de l’information, retenus au soutien de l’exception de bonne foi, pour apprécier le sérieux des investigations menées par le prévenu Philippe KARSENTY.

D’où il suit que le troisième moyen ne peut être accueilli.

Sur les autres moyens réunis :
La jurisprudence française retient que les juges du fond qui constatent l’existence de propos diffamatoires peuvent entrer en voie de relaxe dès lors qu’est établie la bonne foi de l’auteur desdits propos.
Il est constant que la bonne foi suppose la réunion de quatre conditions : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression et la qualité de l’enquête (Crim., 28 avril 2009, 1er septembre 2004, Civ. 2, 27 mars 2003, 14 mars 2002).
Le sérieux de l’enquête ayant été examiné à l’occasion du troisième moyen soulevé, il convient de rechercher si les autres conditions sont réunies.
Les énonciations de l’arrêt sont les suivantes :
1 – sur la prudence et la mesure dans l’expression “Considérant, sur la prudence de l’expression, qu’il convient de souligner que les limites de la
critique admissible sont d’autant plus grandes que le sujet est d’intérêt public et les accusations étayées sur un faisceau d’éléments d’enquête, et d’autant plus larges à l’égard de ceux qui, par leur fonction ou leur activité , s’exposent au public ;
Que c’est en ce sens qu’il convient d’entendre le propos de Francis BALLE , professeur à l’université de Paris II, spécialiste de l’image et de l’information, qui a déclaré devant le tribunal qu’il ne lui semblait pas que, dans l’exercice de son métier , Philippe KARSENTY “ait franchi la ligne jaune” en usant des termes incriminés pour parler d’un sujet d’intérêt public ;
Que s’il est vrai que l’emploi répété de l’expression “faux reportage”, accentué par les termes de “mise en scène”, “mascarade”, supercherie” et “imposture” confèr e de prime abord aux propos incriminés un caractère essentiellement critique, négatif , voire, avec la formule “fausse
mort”, provoquant, il résulte d’une lecture plus approfondie de l’article en ligne, repris succinctement dans le communiqué, dont la tonalité d’ensemble est ferme, que leur auteur explique avec véhémence, mais sans véritable outrance en quoi la chaîne publique a mérité sa critique au regard des critères de notation de son agence ;
Qu’en effet, le prévenu rappelle les faits, relate la polémique, indique que la MENA accuse la chaîne française de faux, avant de donner sa propre analyse et ses conclusions ; que, dans ce cadre, il qualifie le premier épisode de pure fiction, ce qui est aussi soutenu par plusieurs des grandes signatures de la presse et de l’information ayant vu les rushes en octobre 2004 ; qu’il expose ensuite, au sujet de la scène principale, dans laquelle il a observé des incohérencesAvis-AG-Q0883926 inexplicables et de s contradictions dans les explications sur l’agonie de l’enfant donnée par Charles ENDERLIN, que celui-ci se trompe, ce qui revient à lui imputer une simple erreur, et, “du même coup”, trompe le public, ce qui apparaît comme une formulation euphémique ; qu’en concluant par une interrogation sur les raisons de “chercher à couvrir cette imposture”, Philippe KARSENTY aborde le fond du sujet avec une vivacité de l’expression que l’importance de la question débattue doit pourtant autoriser ;”
2 – sur l’absence d’animosité personnelle “Considérant que l’animosité personnelle à l’égard des parties civiles n’est pas démontrée par la production de deux attestations, l’une de René BACKMANN , l’autre de François RAIGA-CLEMENCEAU, postérieures à l’enquête menée par Philippe KARSENTY, alors que le contenu de l’article et du communiqué d u directeur de l’agence de notation des médias ne révèle, quant à lui, aucun sentiment personnel hostile à l’égard de Charles ENDERLIN et de FRANCE 2 ;
3 – sur la légitimité du but poursuivi “Considérant qu’en l’état des éléments de l’enquête, qui constituent une base factuelle suffisante pour admettre que les propos litigieux, souvent proches d’un jugement de valeur, aient pu être tenus par l’auteur de l’article et du communiqué incriminés pour traiter de sujets d’intérêt aussi général que le danger d’un pouvoir, en l’occurrence celui de la presse, en l’absence de contrepoids, et le droit du public à une information sérieuse, il y a lieu de décider que Philippe KARSENTY a exercé de bonne foi son droit de libre critique ; que, ce faisant, il n’a pas dépassé les limites de la liberté d’expression reconnue par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ”.
En l’espèce, la cour d’appel a bien recherché l’existence des quatre critères habituels de la bonne foi et minutieusement analysé chacun d’entre eux : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression et la qualité de l’enquête.
Ce faisant, elle a, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, caractérisé sans insuffisance ni contradiction les circonstances particulières invoquées par le prévenu sur lesquelles elle s’est fondée et qui justifient par leur réunion l’admission légale de l’exception de bonne foi au bénéfice de Philippe KARSENTY.

Les moyens seront en conséquence écartés.

III.- AVIS de l’AVOCAT GÉNÉRAL
En conséquence, j’ai l’honneur de conclure qu’il plaise à la Cour Rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 21/05/2008 par la Cour d’appel
de Paris – 11ème chambre correctionnelle.
Fait à Paris, le 17 novembre 2011
L’avocat généralAvis-AG-Q0883926
Jean Berkani